Howard Phillips Lovecraft

Date de naissance : 20 août 1890

Décès : 15 mars 1937

Biographie :
Sur la colline de la petite ville de Providence, le 15 mars 1937, disparaît un homme de moins de cinquante ans, un solitaire qui a toujours habité ces quelques mêmes rues, sauf deux ans à New York et, chaque printemps, d'étonnantes équipées de Québec jusqu'en Floride par trains et autobus. Un homme qui n'a jamais cessé d'écrire : passionné de sciences et d'astronomie dès son adolescence, il s'engouffre dans le monde du journalisme amateur. Passionné de poésie et de prose lyrique, avec une vénération pour Edgar Poe, il construit dès ses vingt ans, émergeant d'une longue période de claustration volontaire, les figures hors du monde qui pourraient les porter. Dormant le jour, écrivant la nuit, marcheur invétéré, se nourrissant trop souvent d'une boîte de haricots et de glaces à la vanille puisque ses moyens ne lui permettent guère plus, il ne verra jamais ses écrits imprimés dans un livre. Une vie usante, entre le bref mariage raté, les deux vieilles tantes rêvant encore à l'ancienne prospérité familiale, et un travail de réviseur-correcteur (on dirait nègre) pour quelques sous-faiseurs avides de réputation littéraire... Bien sûr, tout cela à voir de plus près : la biographie américaine de référence (celle de S. T. Joshi) fait plus de mille cent pages. Mais le premier mystère Lovecraft, c'est d'abord lui-même. Des dizaines de milliers de lettres et cartes postales, qui nous permettent de presque tout savoir de ses lectures, ses voyages. Et puis, à intervalles décousus, cette poignée de récits, longs de vingt ou soixante ou cent vingt pages, qu'il soumet à ces magazines dits pulp, avant l'âge de la science-fiction, où on le respecte mais dont la qualité de sa prose, son caractère éminemment littéraire, le sépare complètement et fait qu'il est constamment soumis à des refus méprisants. Howard Philips Lovecraft, d'autre part, rate tout le moderne. Son idéal politique : l'Amérique encore rurale et coloniale, au point de tomber dans tous les panneaux du racisme ou du populisme. Et pourtant... pourtant jamais, depuis les années 1950, il ne s'est éloigné du panthéon des auteurs les plus décisifs. Avec des variations : lorsqu'on a commencé à le traduire, on ne savait presque rien ni de lui, ni de son contexte biographique ou intellectuel, ni de la gestation mêmes des récits. Dans les années 1970, avec l'essor de la science-fiction, on en fait une sorte de précurseur génial, et on recompose l'œuvre à mesure qu'on empile les livres. Dans les années 1990, l'imagerie en plein euphorie créative de la bande dessinée, puis des jeux de rôle, s'appuie sur la mythologie souterraine certes présente chez Lovecraft, mais qui n'a été constituée comme telle qu'à titre posthume, par August Derleth. Alors peut-être que c'est maintenant, le moment. Parce que nous savons mieux entrer dans l'atelier des écrivains les plus singuliers, et que nous concerne au premier chef d'entrer dans la fabrique même de l'œuvre. Nous le savons pour Proust ou pour Kafka, et la singularité de cet homme-là n'est pas moindre : la littérature vient là et se renverse. De Lovecraft, nous savons les livres de sa bibliothèque, la Remington 1906, la date des brouillons et reprises. Mais nous commençons tout juste à prendre en compte, dans notre lecture, l'essor des villes, le rôle des magazines, la montée des idéologies dans l'après Grande Dépression, ou le bouleversement qu'induisent les sciences, Einstein y compris. Ce chantier est encore tout neuf, même aux États-Unis : versions révisées des textes, établissements encore incomplet de la gigantesques correcpondance, édition de l'ensemble des notes de voyages, carnets quotidiens, essais sur le suicide ou pages sur l'écriture elle-même. Lorsque, dans son Rhode Island natal, cette petite Europe qui est un des premiers ancrages, entre Newport et Boston j'ai découvert la ville de Providence, et la rue où vivait Lovecraft, ça a été pour moi comme une évidence : le souvenir que j'avais de mes lectures adolescentes ne correspondait en rien à ce que j'en découvrais maintenant. L'aventure de la traduction a commencé là. Partir de ses propres préceptes sur la narration. Respecter ses constructions avec l'étrange point-virgule au milieu de la phrase. Respecter tous ces narrateurs qu'il construit précautionneusement, eux-mêmes délibérément maladroits dans la langue, et encore plus quand ils ne comprennent rien à ce qui leur arrive. Se garder d'arrondir les angles ou les nuances, même quand Lovecraft répète une assonance, un mot. Se laisser prendre à une terrible machine où jamais, dans un quelconque point du texte, n'est fourni un élément sans qu'il ait sa place nécessaire et unique dans la résolution finale du mystère. Alors nous y voilà. Un monde où toutes les peurs peuvent surgir du contexte le plus ordinaire et qui nous livre en même le plus étrange quotidien de l'Amérique début de siècle. Des monstres dans les replis de la mer ou les fonds reculés de la terre, la possibilité de traversées du temps, l'étonnement de mondes précédant le nôtre, ou coexistant dans le cosmos. La peur de l'autre, la folie tout auprès. Mais tout cela au nom même d'un mystère autrement plus haut, celui de la littérature elle-même, ce qui nous fait en appeler au langage, au récit, à l'histoire qu'on vous raconte, pour tenir dans le désarroi du monde. Ce sont ces récits que nous voulons à nouveau proposer, comme des échappées au temps, comme des trous dans l'abîme du présent. La terreur, l'horreur, l'informe figure qui se montre dans le rêve, Lovecraft ne les éveille pas pour jouer. Il sait seulement que tout cela nous en disposons déjà, depuis l'enfance, ou dans l'inquiétude du quotidien. Il en est juste un formidable amplificateur. Et c'est ainsi qu'il est temps de le lire : parce que s'y joue définitivement une bascule majeure de la littérature. De François Bon, Introduction de Dagon et autres récits d'horreur.

Livres :